INTERVIEW CGT FINANCES PUBLIQUES / HUFFINGTONPOST

Surveiller les réseaux sociaux contre la fraude fiscale ? La "com’" du gouvernement agace

huffingtonpost CGT Finances Publiques

"C’est une opération de communication", s’indigne la CGT Finances Publiques. Le 11 novembre, le ministre de l’Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin a annoncé dans l’émission Capital de M6 que l’administration fiscale s’apprêtait à expérimenter la surveillance des réseaux sociaux pour lutter contre la fraude.

"Il y aura la permissivité de constater que si vous vous faites prendre en photo (...) de nombreuses fois, avec une voiture de luxe alors que vous n’avez pas les moyens de le faire, peut-être que c’est votre cousin ou votre copine qui vous l’a prêtée, ou peut-être pas", affirme Gérald Darmanin dans cet entretien.

Il présente cette "expérimentation", comme une nouveauté mise en place "sans doute au début de l’année prochaine", comme le reste des mesures de la loi contre la fraude fiscale, adoptée le mois dernier au Parlement, et qui vise à donner plus de moyens à l’État pour combattre toutes les formes de fraudes.

"Il n’y a rien de nouveau"
Or, la surveillance des réseaux sociaux dans la lutte contre la fraude fiscale existe depuis de nombreuses années, comme l’explique au HuffPost Olivier Villois, secrétaire national de la CGT Finances Publiques : "Il n’y a rien de nouveau. La Direction nationale des enquêtes fiscales (DNEF) a une cellule spécialisée dans ce domaine. Dans les directions spécialisées du contrôle fiscal régionales, on utilise déjà l’analyse des réseaux sociaux", souligne-t-il, comme vous pouvez le voir dans notre vidéo en haut de cet article.

Selon l’ancien programmateur à la Direction du contrôle fiscal Ile-de-France, ça existe même depuis "une bonne vingtaine d’années" à la DNEF. "Pour ce qui est des directions spécialisées, c’est plus récent : je dirais moins d’une dizaine d’années, depuis le moment où les réseaux sociaux ont commencé à prendre énormément d’importance."

Tous les jours, les vérificateurs fiscaux se servent des données publiées par les particuliers ou les entreprises sur les réseaux sociaux. Une utilisation qui est limitée par la législation sur la vie privée. "Nous y avons recours ponctuellement dans le cadre d’une vérification, admet Laurent Perin, vérificateur à la Brigade départementale de vérification de Roubaix. Mais de là à en faire un axe majeur pour la Direction générale des Finances publiques (DGFIP) dans la lutte contre la fraude fiscale, cela semble totalement dérisoire."

Pas d’accès aux comptes privés
Le fisc n’a d’ailleurs accès qu’à ce que les utilisateurs des réseaux sociaux mettent eux-mêmes volontairement et de façon publique. "Jusqu’à maintenant, Facebook n’a jamais autorisé l’administration fiscale à avoir accès à des comptes privés, précise Olivier Villois. On fait d’ailleurs souvent des vérifications avec nos comptes personnels, l’administration n’a pas de compte propre."

Reste à savoir si le ministre voulait insinuer une extension de ces droits de vérification. "Je n’arrive pas à comprendre que l’on parle de ça, s’agace-t-il. Sauf s’il y a une autorisation de la Cnil pour faire des croisements de fichiers provenant des réseaux sociaux, mais sinon je ne vois pas ce que ça peut apporter."

"Peut-être que le ministre veut instaurer un traitement automatisé de ces informations issues des réseaux sociaux, ce qui pourrait être nouveau, mais je n’y crois pas, ajoute Laurent Perin. Aujourd’hui, nous avons déjà de grandes difficultés à faire la base de notre travail. Ça sent l’effet d’annonce pour masquer les difficultés et les mauvais résultats des services de contrôle aujourd’hui."

Baisse des effectifs et des résultats
La DGFIP est l’une des plus importantes administrations de l’État et emploie plus de 100.000 agents pour un budget de près de 8 milliards d’euros, selon la Cour des Comptes. Depuis 2008, elle a dû faire face à 2000 suppressions de postes par an en moyenne. Une baisse des effectifs que dénoncent les syndicats.

Dans un rapport de juin 2018, la Cour des comptes préconise même de "supprimer 30000 emplois dans les prochaines années". Une préconisation que redoutent et dénoncent les syndicats, comme Solidaires Finances Publiques, premier syndicat de la DGFiP, l’a fait dans un communiqué.

"Le nombre de contrôles fiscaux est en baisse depuis 3 ans, pareil pour les sommes issues du recouvrement, parce que notre administration a subi 40 000 emplois en moins ces 15 dernières années, s’énerve Laurent Perin. Comment ne pas être en colère quand notre ministre fait des annonces comme ça, de pure communication ?"

"Bonne conscience et communication"
La loi contre la fraude fiscale, adoptée le mois dernier au Parlement, vise à donner plus de moyens à l’État pour combattre toutes les formes de fraudes. Les mesures annoncées, telles que la mise en place d’une police fiscale, le renforcement de la possibilité de rendre publics les noms des fraudeurs et la fin du "verrou de Bercy" ne semblent pas convaincre ces militants syndicalistes.

"L’ensemble des mesures qui sont prises sont en contradiction avec les mesures budgétaires prises en parallèle. Ce texte a été davantage adopté pour se donner bonne conscience, pouvoir communiquer derrière, plutôt que de pouvoir agir efficacement" conclut Laurent Perin. "Les moyens matériels et humains pour les appliquer ne sont pas à la hauteur."